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XIII. Progrès dans la charité et la liberté



Puisque la liberté procède de la charité, ce qui nous dispose à l’accroissement de cette vertu contribue du même coup à perfectionner notre liberté. Les deux principaux moyens indiqués par saint Thomas, sans parler des sacrements, sont le renoncement aux biens temporels et la patience dans les adversités ; malgré leur apparence négative, ces moyens comportent un exercice de la liberté des enfants de Dieu. Il s’agit dans le premier cas de préférer ce qui nous conduit le plus sûrement à Dieu, de ramener nos choix à l’unité de son amour, au lieu de les disperser sur des biens inférieurs ; dans le second cas, nous acceptons librement la volonté de Dieu sur nous, imitant en cela le Christ qui nous a libérés par sa Croix librement portée.
« Il y a deux moyens principaux de se disposer à l’augmentation de la charité. Le premier est le détachement du cœur à l’égard des biens terrestres ; le cœur ne peut en effet donner toute son affection à des objets différents : c’est pourquoi nul ne peut aimer à la fois Dieu et le monde. Et donc, plus notre âme s’éloigne de l’amour des choses terrestres, plus elle s’affermit dans l’amour divin.
Ce qui fait dire à saint Augustin (P. L., LX, 25) : La convoitise des biens temporels que l’on veut acquérir ou retenir est le poison de la charité ; ce qui nourrit la charité diminue la convoitise, car celle-ci est la racine de tous les maux. Quiconque veut nourrir la charité doit s’appliquer à diminuer la convoitise. Or, la convoitise est le désir d’acquérir ou de posséder des biens temporels ; on commence à l’affaiblir en craignant Dieu qui seul ne peut être craint, comme il doit l’être, sans amour.
C’est pour cela qu’ont été établies les diverses formes de vie religieuse dans lesquelles et par lesquelles l’âme se détache des choses mondaines et corruptibles pour s’élever aux réalités divines : ce qui est exprimé par cette parole du deuxième livre des Machabées (I, 22) : Le soleil jusque-là couvert de nuages resplendît. Le soleil, c’est-à-dire l’esprit humain, est couvert de nuages quand il se livre aux choses terrestres ; mais il resplendit quand il se dégage et s’éloigne de leur amour.
Le deuxième moyen est une ferme patience dans les adversités. Il est manifeste en effet que si nous supportons de lourdes épreuves pour celui que nous aimons, notre amour loin d’être détruit est accru. Il est dit dans le Cantique des Cantiques (VIII, 7) : Les grandes eaux, c’est-à-dire de multiples tribulations, ne sauraient éteindre l’amour. C’est pourquoi les saints qui supportent pour Dieu leurs adversités sont affermis dans son amour, tout comme l’artisan aime davantage l’œuvre qui lui a demandé plus de travail. Il suit de là que les fidèles grandissent dans l’amour de Dieu en proportion des afflictions qu’ils endurent pour lui. »
(De duobus Praec., c. 1.)
Pour se protéger contre les défaillances toujours possibles de la liberté, le chrétien a la ressource de s’engager par vœu à la poursuite d’un bien meilleur. En prenant comme en tenant cet engagement, il fait un excellent usage de sa liberté et l’affermit dans le bien.
« Certains ont pensé qu’il était insensé de s’obliger par vœu à obéir à quelqu’un ou à faire quelque chose. Un acte n’est-il pas d’autant plus vertueux qu’il est plus librement accompli ? À cette liberté s’oppose la nécessité qui nous astreint à poser une action. Le mérite des actes vertueux semble donc diminuer par là même qu’ils procèdent de la nécessité d’obéir ou de remplir un vœu.
Ceux qui parlent ainsi paraissent ignorer la notion même de nécessité. Il y a en effet diverses nécessités. La première est la nécessité de contrainte qui diminue le mérite des actes vertueux parce qu’elle est opposée au volontaire ; car ce qui est fait par contrainte est contraire à la volonté.
Il y a une autre nécessité qui procède d’une inclination intérieure ; loin de diminuer le mérite de l’acte vertueux, elle l’augmente car elle fait que la volonté se porte à cet acte avec plus d’intensité. Il est évident que plus une habitude vertueuse est parfaite, plus elle incline la volonté à tendre au bien de cette vertu. Si cette habitude atteint la perfection, elle impose une certaine nécessité de bien agir, comme dans le cas des bienheureux qui ne peuvent pécher. Toutefois, il n’y a rien en cela qui diminue la liberté de la volonté ou la bonté de l’acte.
Une troisième nécessité se tire de la fin : on dit, par exemple, qu’il est nécessaire d’avoir un navire pour traverser la mer. Une telle nécessité n’enlève rien à la liberté de la volonté ni à la bonté de l’acte. Au contraire, ce que l’on fait comme étant nécessaire pour atteindre une fin, participe à la bonté de cette fin.
Or, la nécessité de remplir un vœu ou d’obéir à celui que l’on a pris pour supérieur n’est point une nécessité de contrainte ; elle ne procède pas non plus d’une inclination intérieure, mais plutôt de l’ordination à la fin. Celui qui a fait un vœu est dans la nécessité de faire ceci ou cela pour que le vœu soit accompli ou l’obéissance pratiquée. Puisque ces fins sont louables — par elles l’homme se soumet à Dieu — la nécessité qui en découle ne diminue aucunement le mérite de la vertu. »
(Sum. contra Gentiles, lib. III, c. 138.)
« Le fait de ne pouvoir pécher ne diminue pas la liberté ; de même la nécessité où se trouve la volonté affermie dans le bien ne diminue pas la liberté comme on peut le voir chez les bienheureux et en Dieu. Telle est la nécessité du vœu qui a quelque similitude avec la confirmation dans le bien des bienheureux. C’est une heureuse nécessité, dit saint Augustin (P. L., XXXIII, 487), que celle qui nous pousse à mieux agir. »
(Sum. theol., II-II, q. 88, a. 4, ad 1.)