Parce qu’elle est tout ordonnée à la charité, la loi nouvelle jouit d’une incontestable supériorité ; elle n’est pas seulement une promesse de libération, elle en est le facteur le plus efficace par son élément principal, la grâce du Saint-Esprit.
« Toutes les différences que l’on remarque entre la loi ancienne et la loi nouvelle sont celles qui existent entre deux réalités dont l’une est parfaite et l’autre imparfaite. Les préceptes de toute loi portent, en effet, sur les actes vertueux. Or, l’inclination à ces actes de vertu ne se trouve pas de la même manière chez ceux qui sont encore imparfaits, n’ayant pas en eux l’habitude de la vertu, et chez ceux qui sont déjà perfectionnés par cette habitude.
En l’absence de la vertu, on n’est incliné aux actes que par une cause extrinsèque, comme la menace de châtiments ou la promesse de récompenses extérieures, l’honneur par exemple, les richesses ou quelque autre bien de ce genre. C’est pourquoi la loi ancienne imposée à des sujets imparfaits qui n’avaient pas encore reçu la grâce du Saint-Esprit, était appelée loi de crainte, en tant qu’elle induisait à l’observance de ses préceptes par la menace de certains châtiments. De même, on dit qu’elle promettait des biens temporels.
Au contraire, ceux qui possèdent déjà la vertu sont inclinés à en accomplir les actes par amour de la vertu, non à cause d’un châtiment redouté ou d’une récompense extérieure. Aussi la loi nouvelle, dont l’élément principal consiste en la grâce du Saint-Esprit infuse en nos cœurs, est-elle appelée loi d’amour. Et on dit qu’elle promet des biens spirituels et éternels qui sont les objets mêmes des vertus, en particulier de la charité. Et ainsi, les hommes vertueux sont portés vers ces biens, non comme vers des réalités étrangères, mais comme vers leur propre perfection.
Pour la même raison, on dit aussi de la loi ancienne qu’elle retenait la main sans contenir les sentiments parce qu’en celui qui s’abstient du péché par crainte du châtiment, la volonté ne s’éloigne pas vraiment du mal, comme chez celui qui s’abstient par amour de la justice. Et c’est pour cela que la loi nouvelle, loi d’amour, est dite rectifier les sentiments de l’âme.
Cependant, même sous le régime de l’Ancien Testament, il y eut des fidèles possédant la charité et la grâce de l’Esprit-Saint, qui espéraient surtout la réalisation de promesses spirituelles et éternelles. Et en cela ils se rattachaient à la loi nouvelle. Par contre, même dans le Nouveau Testament, il y a encore des hommes charnels, ne s’élevant point à la perfection de la loi nouvelle, qu’il a fallu pousser à la pratique des actes de vertu par la crainte des châtiments et par la promesse de certains avantages temporels. D’autre part, même si la loi ancienne prescrivait la charité, elle ne conférait pas le Saint-Esprit par qui la charité est répandue dans nos cœurs. »
(Sum theol., I-II, q. 107, a. 1, ad 2.)
Tout de même, la loi évangélique ne restreint-elle pas notre liberté par ses prescriptions et ses défenses ? Non, la loi n’est une contrainte que pour celui qui, oubliant la fin même de la loi, l’observe sans amour. Celui-là demeure sous la loi.
« Il n’y a pas de liberté, dira-t-on, là où l’homme est tenu d’accomplir ou d’éviter certains actes extérieurs. La loi nouvelle, étant une loi de liberté, ne prescrit donc ni ne défend les actes extérieurs.
À cela il faut répondre que, selon Aristote, est libre celui qui est “cause de soi”. Agit donc librement celui qui agit de lui-même. Or, ce que l’homme accomplit en vertu d’une habitude conforme à sa nature, il l’accomplit de lui-même, parce que cette habitude l’incline à l’acte avec la spontanéité d’une nature. Par contre, si l’habitude n’était pas conforme à sa nature, l’homme n’agirait plus selon ce qu’il est lui-même, mais selon une altération l’affectant dans son être ou dans son activité.
Puisque donc la grâce du Saint-Esprit nous est infusée comme une habitude intérieure nous inclinant à bien agir, elle nous fait accomplir librement ce qui est conforme à la grâce et éviter ce qui lui est opposé. Et ainsi, la loi nouvelle est une loi de liberté à un double titre. D’abord parce qu’elle ne nous oblige à faire que ce qui est nécessaire au salut et à éviter que ce qui lui est contraire : seules ces deux catégories d’actes tombent sous le commandement ou sous la défense de la loi. Deuxièmement parce qu’elle nous fait accepter librement ses prescriptions ou ses défenses dans la mesure où nous nous y conformons sous la poussée intérieure de la grâce. Et pour ces deux motifs, la loi nouvelle est appelée par saint Jacques (I, 25) la loi de liberté parfaite. »
(Sum. theol., I-II, q. 108, a. 1, ad 2.)
« Relativement aux préceptes moraux, être sous la loi peut s’entendre en deux sens.
Cette expression désigne premièrement une obligation, et en ce sens tous les fidèles sont sous la loi parce qu’elle a été donnée à tous pour être observée, et le Christ a dit : Je ne suis pas venu abolir la loi (Matthieu, V, 17).
Ces mots expriment aussi une contrainte, et dans ce deuxième sens, les justes ne sont pas sous la loi parce que l’instinct de l’Esprit-Saint qui est en eux et qui les meut est devenu leur propre instinct. En effet, la charité les incline à cela même que la loi prescrit. Parce que les justes ont ainsi une loi intérieure, ils font spontanément ce que la loi commande, sans être contraints par elle. D’autres qui ont la volonté de mal faire sont retenus par la pudeur ou la crainte de la loi ; ceux-là subissent une contrainte. Et ainsi, les justes sont soumis à l’obligation de la loi, mais ils n’en subissent pas la contrainte comme les pécheurs. »
(In Gal., c. V, lect. 5.)
On voit que la liberté des enfants de Dieu ne consiste pas dans le rejet de la loi, mais dans un accomplissement qui est libre parce qu’il procède de la charité.
« Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, dit saint Paul dans la deuxième épître aux Corinthiens (III, 17). Il faut savoir que certains ont invoqué ce texte et celui de la première à Timothée (I, 9 ) où il est dit que la loi n’est pas faite pour le juste à l’appui de l’erreur suivante : l’homme spirituel n’est pas tenu d’observer les préceptes de la loi divine. Mais ceci est faux parce que les préceptes divins sont la règle de la volonté humaine ; et il n’est personne, ni ange ni homme, dont la volonté n’ait besoin d’être réglée et dirigée par la loi divine.
Lorsque l’Apôtre dit que la loi n’est pas faite poux l’homme juste, il faut l’entendre ainsi : la loi n’a pas été établie pour les justes qu’une habitude intérieure incline déjà à cela même qui est prescrit par la loi, mais pour ceux qui n’ont pas cette justice habituelle ; les justes sont cependant tenus de l’observer.
Ce qui est affirmé ici de la liberté a la même signification. Est libre celui qui est “cause de soi” ; est esclave celui qui ne vit et n’agit que pour son maître. Agit donc librement celui qui agit de lui-même, mais non celui qui est mû à l’action par autrui. C’est pourquoi celui qui évite le mal, non parce que c’est le mal, mais à cause des préceptes divins, n’est pas vraiment libre ; celui, au contraire, qui évite le mal, parce que c’est le mal, est libre.
C’est ce qu’accomplit le Saint-Esprit en nous : il nous perfectionne intérieurement par la grâce habituelle de telle manière que nous agissions par amour conformément à la loi divine. Et ainsi, on dit du juste qu’il est libre, non parce qu’il cesse d’être soumis à la loi divine, mais parce qu’une habitude intérieure l’incline à faire ce que la loi commande. »
(In II Cor., c. III, lect. 3.)