Ce qui nous affermit dans le bien nous libère, c’est-à-dire rend notre liberté de plus en plus parfaite. C’est le rôle des vertus naturelles et surnaturelles qui nous aident à faire de bons choix, en tout premier lieu de la charité, la vertu libératrice par excellence, comme nous le verrons plus loin. Mais ce rôle bienfaisant convient aussi à la loi. Quoiqu’on l’oppose couramment à la liberté, la loi en est l’auxiliaire, parce qu’elle-même est ordonnée à la vertu, et en définitive, lorsqu’il s’agit de la loi divine, à la charité.
« Il y a dans l’homme une certaine aptitude naturelle à la vertu ; mais son parfait développement suppose la discipline ou l’exercice. En cela l’homme ne saurait aisément se suffire à lui-même. En effet, l’acquisition parfaite de la vertu consiste à éloigner l’homme des plaisirs indus auxquels les hommes sont principalement portés, surtout les jeunes pour qui la discipline est d’une plus grande efficacité.
C’est pourquoi les hommes doivent recevoir d’autrui cette discipline par laquelle on parvient à la vertu. Certes, pour les jeunes gens qui sont portés aux actes de vertu par une heureuse disposition de leur nature ou par l’accoutumance et surtout par le secours divin, il suffit de la discipline paternelle qui s’exerce par des conseils. Mais, parce d’autres sont pervers ou enclins au vice et ne se laissent pas facilement diriger par des paroles, il a été nécessaire qu’ils fussent contraints par la force et la crainte à s’abstenir du mal ; de la sorte, ils cessent au moins de mal agir et laissent la paix aux autres. Et puis, pour leur bien, ils sont amenés par une telle accoutumance à accomplir de bon gré ce qu’ils ne faisaient auparavant que par crainte, et finissent ainsi par devenir vertueux. Cette discipline qui oblige par crainte des châtiments est précisément la discipline des lois. Aussi fut-il nécessaire pour la paix des hommes et le développement de la vie vertueuse de porter des lois. »
(Sum. theol., I-II, q. 95, a. 1.)
« La fin de toute loi, et surtout de la loi divine, est de rendre les hommes bons. On dit de l’homme qu’il est bon lorsqu’il a une volonté bonne au moyen de laquelle il fait passer à l’acte tout ce qu’il y a de bon en lui. Or, la volonté est bonne par là même qu’elle veut le bien, et surtout le souverain bien qui est la fin ultime. Donc la bonté de l’homme augmente à mesure que sa volonté veut plus ardemment ce bien.
Or, l’homme veut plus ardemment ce qu’il veut par amour que ce qu’il veut seulement par crainte ; le vouloir qui procède uniquement de la crainte est pour une part involontaire, comme dans le cas du navigateur qui par crainte du danger veut jeter ses marchandises à la mer. Donc l’amour du souverain bien qui est Dieu, rend les hommes aussi bons que possible, et c’est la fin principale de la loi divine.
La bonté de l’homme découle de la vertu, car c’est la vertu, au dire du Philosophe, qui le rend bon. C’est pourquoi la loi vise à rendre les hommes vertueux, et ses préceptes portent sur les actes de vertu. Mais, c’est une condition de la vertu que le vertueux agisse avec fermeté et délectation ; condition que réalise surtout l’amour, car c’est lui qui donne à nos actions d’être à la fois fermes et agréables. Donc l’amour du bien est la principale fin de la loi divine.
Par l’autorité de la loi, les législateurs dirigent ceux à qui elle s’adresse. Or, de tous les êtres qui sont mus par un premier moteur, celui-là est le plus parfaitement mû qui participe davantage à l’impulsion et à la ressemblance du premier moteur. Dieu qui est l’auteur de la loi divine fait tout pour son amour. Donc celui qui se porte vers Dieu de la même manière, c’est-à-dire par amour, est dirigé vers Lui de la façon la plus parfaite. Puisque tout agent recherche la perfection dans ce qu’il fait, la fin de toute législation est donc que l’homme aime Dieu.
C’est pourquoi il est dit dans la première à Timothée (I, 5) que la fin du précepte est la charité, et dans Matthieu (XXII, 37), que le premier et le plus grand commandement est Vous aimerez le Seigneur votre Dieu. C’est pourquoi nous appelons la loi nouvelle, loi d’amour, comme la plus parfaite ; et la loi ancienne, loi de crainte, comme étant moins parfaite. »
(Sum. contra Gentiles, lib. III, c. 116.)