Cet esclavage du péché laisse subsister le libre arbitre, mais pratiquement il en empêche le bon usage, plus ou moins selon l’intensité de l’habitude mauvaise qui s’est implantée dans le pécheur. Si l’on parle de l’augmentation ou de la diminution de la liberté, ce sera donc en considération des inclinations vertueuses ou vicieuses qui facilitent ou entravent ce bon usage.
« Le libre arbitre est dit libre du fait qu’il ne peut être contraint. Mais la contrainte est elle-même double, selon qu’elle force quelqu’un ou l’incline dans un sens plutôt que dans l’autre. Il est naturel et essentiel au libre arbitre, quel que soit son état, de n’être pas soumis à la première contrainte ; la liberté ainsi entendue n’augmente ni ne diminue essentiellement, mais seulement de façon accidentelle, c’est-à-dire selon la perfection de nature des êtres libres. En effet, toute propriété découlant d’une nature est possédée d’autant plus parfaitement que la nature elle-même est plus élevée en dignité ; de cette façon on dit de l’homme qu’il est moins intelligent que l’ange. Il en est de même de la liberté qui échappe à toute contrainte nécessitante : elle est plus parfaite en Dieu que dans l’ange, dans un ange que dans un autre, et dans l’ange que dans l’homme.
D’autre part, la liberté à l’égard des influences qui peuvent nous incliner dans un sens plutôt que dans un autre, augmente ou diminue, s’acquiert ou se perd, selon que ces influences augmentent ou diminuent, apparaissent ou disparaissent. Une telle liberté augmente donc ou diminue essentiellement dans l’homme, selon les divers états où il se trouve.
Ajoutons que le libre arbitre n’est jamais tellement dominé ou asservi par les passions qu’on soit contraint de pécher, car alors la responsabilité n’existerait plus ; mais on dit qu’il est soumis au péché en tant qu’il y est incliné par de fortes dispositions.
Quant au pouvoir de pécher, il est essentiellement le même chez tous ; mais il est plus prompt à l’acte chez celui qui a l’habitude du mal : car l’opération conforme à une habitude est délectable pour celui qui possède cette habitude. C’est pourquoi les gens vicieux accomplissent avec plaisir et sans aucune répugnance des actes abominables ; on dit qu’ils les font librement parce que chez eux l’opposition de la raison est étouffée par le vice qui obscurcit l’esprit ; ce qui ne peut se produire en l’absence du vice.
(In Sent., lib. II, d. 25, q. 1, a. 4, c. ; ad 4-5.)