La vraie liberté, celle qui ne subit pas la loi mais l’embrasse, découle de la charité et par conséquent de l’Esprit-Saint qui la répand dans nos cœurs, si bien qu’il n’y a pour l’homme d’authentique liberté que celle qui lui vient de Dieu.
« Le libre arbitre est cause de son mouvement ; par le libre arbitre en effet, l’homme se meut lui-même à l’action. Cependant, il n’est pas requis, pour être libre, d’être la cause première de soi-même ; pas plus qu’il n’est requis pour être la cause de quelque chose d’être sa cause première. Ce rôle de cause première appartient en propre à Dieu qui donne le mouvement aux causes naturelles et aux causes volontaires.
Et de même qu’en mettant en mouvement les causes naturelles, Dieu n’empêche point leurs actes d’être naturels, ainsi en mettant en mouvement les causes volontaires, il n’enlève point à leurs actes leur modalité volontaire, mais bien plutôt il la réalise en eux ; car Dieu opère dans les êtres selon leur nature propre. »
(Sum. theol., I, q. 83, a. 1, ad 3.)
« Le propre de l’amitié est de consentir à ce que veut un ami. Or, la volonté de Dieu nous est manifestée par ses préceptes. L’amour dont nous aimons Dieu comporte donc que nous accomplissions ses commandements selon cette parole du Christ, (Jean, XIV, 15) : Si vous m’aimez, gardez mes commandements.
Puisque le Saint-Esprit nous introduit dans l’amitié divine, c’est Lui également qui nous meut à l’accomplissement des commandements de Dieu, selon ce que dit l’Apôtre aux Romains (VIII, 14) : Tous ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu.
Il faut observer cependant que les fils de Dieu sont mus par l’Esprit-Saint, non comme des esclaves mais comme des hommes libres. Puisqu’être libre, c’est être “cause de soi”, nous faisons librement ce que nous faisons de nous-mêmes, c’est-à-dire de par notre volonté. Au contraire, ce que nous faisons contre notre volonté, nous le faisons en esclaves non en hommes libres. Soit qu’il y ait violence absolue, le principe de l’action étant tout extérieur et le sujet soumis à la violence n’ayant aucune initiative, comme dans le cas de celui qui est forcé de se mouvoir. Soit que la contrainte se mêle au volontaire, comme lorsqu’on accepte de faire ou de souffrir ce qui est moins opposé à sa volonté, pour éviter ce qui la contrarie davantage.
Eh bien, par là même qu’il nous rend amis de Dieu, le Saint-Esprit nous incline à agir de telle manière qu’il nous fait agir volontairement (le propre de l’amitié étant de faire accepter la volonté de l’ami). Le Saint-Esprit meut donc les fils de Dieu en hommes libres, par l’amour, et non en esclaves, par la crainte. D’où la parole de saint Paul aux Romains (VIII, 15) : Vous n’avez point reçu un esprit d’esclavage pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit d’adoption.
La volonté est de sa nature ordonnée à ce qui est vraiment bon ; lors donc qu’un homme, sous l’influence d’une passion, d’un vice ou d’une disposition mauvaise, se détourne de ce qui est vraiment bon, cet homme dans la mesure où il se laisse entraîner par un principe étranger, agit en esclave, si l’on considère l’ordre naturel de la volonté.
Mais, si l’on considère l’acte de la volonté selon qu’elle est inclinée actuellement vers un bien apparent, cet homme agit librement en suivant sa passion ou son vice ; et il agit servilement, en esclave, si, sa volonté demeurant inclinée de la sorte, il s’abstient de ce qu’il veut par crainte de la loi qui ordonne le contraire.
Puisque le Saint-Esprit par la charité incline la volonté au vrai bien, selon son ordre naturel, il détruit du même coup un double esclavage : celui où, esclave de la passion ou du péché, l’homme agit contre l’ordination naturelle de sa volonté ; et celui où esclave de la loi, et non son ami, il agit contre le mouvement de sa volonté propre. C’est pour cela que l’Apôtre dit dans sa deuxième épître aux Corinthiens (III, 17) : Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, et aux Galates (V, 18) : Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus sous la loi. »
(Sum. contra Gentiles, lib. IV, c. 22.)