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I. Liberté imparfaite et peccabilité



La liberté des enfants de Dieu, loin de pactiser avec le péché, tend à son élimination ; le chrétien est d’autant plus libre qu’il pèche moins. À la limite, le chrétien parfait ou le bienheureux uni pour toujours à Dieu ne peut plus pêcher. Ces affirmations supposent que le pouvoir de pécher ou de choisir le mal n’est pas un élément essentiel de la liberté, qu’il convient seulement à une liberté imparfaite comme celle de l’homme ici-bas.
« Il est de l’essence du libre arbitre de pouvoir s’orienter en divers sens. Mais cette diversité peut elle-même s’entendre de trois façons. Premièrement, selon la multiplicité des moyens à choisir en vue d’une fin. À chaque être, en effet, convient naturellement une fin qu’il désire nécessairement — d’une nécessité qui surgit de sa nature — parce que la nature tend toujours à un but unique ; mais à cette fin unique divers moyens peuvent être ordonnés, et c’est pour cela que l’appétit d’une nature intellectuelle ou raisonnable peut s’étendre à divers objets, dans le choix des moyens.
De cette façon, Dieu veut naturellement comme fin propre sa bonté, et il ne peut pas ne pas la vouloir. Mais, parce que divers ordres de choses peuvent être ordonnés à cette bonté, la volonté de Dieu ne se porte pas sur l’un de ces ordres de telle façon qu’elle ne puisse se porter sur un autre ; et pour autant, le libre arbitre convient à Dieu.
De même, l’ange et l’homme ont une fin qui leur est assignée par la nature, et c’est le bonheur. Ils le veulent donc naturellement et ne peuvent pas vouloir son contraire, la misère, selon la remarque de saint Augustin. Mais, parce que divers biens peuvent être ordonnés à ce bonheur, la volonté de l’homme, comme celle de l’ange bon ou mauvais, peut dans le choix des moyens s’orienter en divers sens.
La deuxième diversité relative au libre arbitre consiste dans la différence qui existe entre le bien et le mal. Mais cette diversité-là n’appartient pas essentiellement à la faculté du libre arbitre ; elle n’a qu’un rapport accidentel avec cette faculté, provenant de ce qu’elle se trouve dans une nature faillible. Puisqu’en effet la volonté est de soi ordonnée au bien comme à son objet propre, le fait qu’elle tende au mal ne peut provenir que de ce que le mal est envisagé comme un bien ; et cette erreur suppose une défaillance de l’intelligence ou de la raison cause de la liberté. Or, il n’est pas essentiel à une faculté de faire défaut dans son acte : par exemple, il n’est pas essentiel à la puissance visuelle que quelqu’un voie seulement de façon obscure. C’est pourquoi rien n’empêche de trouver un libre arbitre qui tende au bien avec une telle sûreté qu’il ne puisse d’aucune manière tendre au mal, soit en vertu même de sa nature comme en Dieu, soit grâce à une perfection surnaturelle comme dans les anges et les hommes béatifiés.
Une troisième diversité se rencontre dans le libre arbitre, selon qu’il est changeant : cette diversité ne consiste pas à vouloir différentes choses, car Dieu lui-même veut la réalisation de divers événements selon qu’ils conviennent à des époques et à des personnes différentes. Mais les variations du libre arbitre consistent en ce qu’une même personne ne veut plus ce qu’elle voulait d’abord ou veut maintenant ce qu’elle ne voulait pas. Ce caractère changeant n’est pas essentiel au libre arbitre, mais il s’attache à la condition propre d’une nature muable. Il n’est pas essentiel, par exemple, à la puissance visuelle de voir tantôt d’une façon, tantôt d’une autre ; mais cela provient de la disposition de celui qui voit, dont l’œil peut être normal ou troublé.
De même, la mutabilité ou la versatilité du libre arbitre ne lui est pas essentielle ; mais elle vient s’y ajouter lorsqu’il se trouve dans une nature changeante. En nous, le libre arbitre est exposé «au changement par l’intervention d’une cause intrinsèque ou extrinsèque : cause intrinsèque, du côté de la raison, par exemple chez celui qui ignorant d’abord une chose l’apprend ensuite ; ou du côté de l’appétit qui sous l’influence de la passion ou de l’habitude se porte vers un objet comme lui convenant, tandis qu’une fois la passion ou l’habitude disparue, ce même objet ne lui convient plus. La cause extrinsèque est Dieu qui par sa grâce fait passer la volonté de l’homme du mal au bien, selon cette parole du livre des Proverbes (XXI, 1) : Le cœur des rois est dans la main de Dieu, et il l’incline partout où il veut. »
(Qu. disp. de Malo, q. 16, a. 5.)