Le pouvoir de choisir le mal ou de préférer un bien apparent à un bien réel n’est pas essentiel au libre arbitre ; mais il s’y attache selon que le libre arbitre se trouve dans une nature faillible qui se laisse séduire par les apparences. Laissé à lui-même, l’homme est donc incapable d’adhérer à Dieu d’une volonté immuable. Cependant, dès ici-bas, la grâce peut le confirmer dans le bien, sans toutefois exclure complètement la possibilité du péché.
« On peut être confirmé dans le bien de deux manières différentes. Celui-là est parfaitement confirmé dans le bien et ne peut plus du tout pécher, qui a en lui-même le principe d’une entière stabilité dans le bien. C’est le cas des bienheureux. Voyant l’essence divine, ils connaissent Dieu comme la fin souverainement aimable ; ils connaissent du même coup et concrètement tout ce qui unit à Dieu et tout ce qui en éloigne, contemplant Dieu non seulement en Lui-même, mais aussi en tant qu’il est la cause de tous les autres êtres. Leur esprit est tellement affermi par la splendeur de cette connaissance que nul mouvement ne peut s’élever dans les puissances inférieures qui ne soit conforme à la règle de la raison.
C’est pourquoi, de même qu’actuellement nous voulons de façon immuable le bien en général ou le bonheur, ainsi les bienheureux veulent avec la même constante détermination le vrai bien ou Dieu en qui il se trouve concrètement réalisé. En eux, la charité parfaite qui les unit entièrement à Dieu domine à jamais l’inclination naturelle de la volonté ; aussi leur est-il impossible de pécher, et ils sont parfaitement confirmés dans le bien par la grâce.
À un degré moindre, on est confirmé dans le bien lorsqu’en vertu d’un don spécial de la grâce on se trouve incliné au bien de telle sorte qu’on n’en peut être facilement détourné. Cependant, on n’est pas préservé du mal au point de ne plus pouvoir du tout pécher, du moins sans une protection spéciale de la divine Providence. Ici-bas, on peut être confirmé dans le bien de cette deuxième manière, non de la première.
En effet, il est impossible d’être rendu entièrement impeccable, à moins que ne soit abolie la source même du péché. Or, cette source, c’est ou bien l’erreur de la raison elle-même se trompant concrètement sur la fin à poursuivre ou sur les moyens qui y conduisent, fin et moyens qu’elle aime naturellement dans l’abstrait ; ou bien quelque passion inférieure venant intercepter le jugement de la raison. Il est vrai que, même ici-bas, les dons de sagesse et de conseil pourraient préserver la raison de toute erreur sur la fin à poursuivre et les moyens qui y conduisent.
Mais, que le jugement de la raison ne puisse être intercepté, c’est une perfection qui dépasse notre condition présente pour deux raisons : d’abord et principalement parce qu’il est impossible sur la terre que notre raison soit toujours en acte de droite contemplation, ce qui ferait de Dieu la règle de toutes nos actions. En second lieu, parce que dans le même état présent les puissances inférieures ne sont jamais soumises au point de ne pouvoir empêcher en aucun cas l’exercice de la raison. Le Seigneur Jésus-Christ fait exception, qui était à la fois en route vers Dieu et déjà en possession de Dieu.
Ce qui est compatible avec notre condition présente, c’est une grâce attachant l’homme au bien de manière qu’il lui soit très difficile de pécher. Ses puissances inférieures se trouvent alors refrénées par les vertus morales, sa volonté est fortement inclinée vers Dieu, sa raison est rendue parfaite en la contemplation de la divine vérité, contemplation dont la continuité provenant de la ferveur de la charité retire l’homme du péché. Ce qui manque encore à cette confirmation, la protection de la divine Providence le supplée chez ceux que l’on dit être confirmés dans le bien. Toutes les fois qu’il surgit une occasion de pécher, leur esprit est divinement excité à y résister. »
(Qu. disp. de Veritate, q. 24, a. 9.)