L’acte propre du libre arbitre est le choix qui porte sur les moyens, non sur la fin, à moins que celle-ci soit une fin subordonnée et prenne le caractère de moyen par rapport à la fin ultime qui, elle, s’impose à l’agent libre. Le choix est donc bon lorsqu’il est conforme aux exigences de la fin ultime, et la constante rectitude du choix, loin de nuire au libre arbitre, en atteste la perfection.
« Cette parole de l’Ecclésiastique (XV, 14) : Dieu a laissé l’homme dans la main de son conseil, ne signifie pas qu’il est permis à l’homme de faire tout ce qu’il veut ; elle signifie que l’homme dans sa conduite n’est pas contraint par une nécessité de nature, comme les êtres dépourvus de raison, mais qu’il agit en vertu d’un libre choix auquel il s’est déterminé lui-même. »
(Sum. theol., II-II, q. 104, a. 1, ad 1.)
« Le libre arbitre est par rapport au choix des moyens ce qu’est l’intelligence par rapport à la déduction des conclusions. Or, il est manifeste que la perfection de l’intelligence consiste à pouvoir se diriger elle-même vers les conclusions, à partir de principes donnés ; mais que l’intelligence dans la découverte des conclusions ne respecte pas l’ordre exigé par les principes, cela dénote une défaillance de sa part.
De même, il appartient à la perfection de la liberté de pouvoir choisir différents moyens, en respectant l’ordre imposé par la fin ; mais faire un choix sans tenir compte de cet ordre, autrement dit pécher, c’est une défaillance de la liberté. La liberté est donc plus parfaite dans les anges qui ne peuvent pécher qu’en nous qui gardons cette possibilité. »
(Sum. theol., I, q. 62, a. 8, ad 3.)
Ce qui est vrai des anges l’est aussi des bienheureux, du Christ et de Dieu. Leur liberté qui ne peut se porter qu’au bien est parfaite.
« Il n’est pas essentiel au libre arbitre de se porter indifféremment au bien ou au mal. Le libre arbitre est de soi ordonné au bien, celui-ci étant l’objet de la volonté ; il ne tend au mal qu’à la suite d’une erreur qui le fait envisager comme un bien ce qui en réalité est un mal, la volonté ou le choix ne pouvant se fixer que sur un bien au moins apparent.
C’est pourquoi, là où le libre arbitre est absolument parfait comme en Dieu, il ne peut nullement tendre au mal parce qu’il ne peut souffrir aucune imperfection ni erreur. Ce qui est essentiel au libre arbitre, c’est de pouvoir agir ou non, et cela convient à Dieu ; car les biens qu’il cause, il pourrait ne pas les causer ; il ne peut cependant faire le mal. »
(In Sent., lib. II, d. 25, q. 1, a. 1, ad 2.)
« La créature raisonnable désire naturellement être heureuse ; d’où il suit qu’elle ne peut pas vouloir n’être pas heureuse. Elle peut cependant se détourner par la volonté de l’objet dans lequel consiste la vraie béatitude ; la volonté est alors perverse. Et cela arrive parce que l’on considère comme constituant la béatitude, non l’objet en lequel elle se trouve vraiment, mais quelque autre chose vers laquelle la volonté désordonnée dévie comme vers sa fin : ainsi, celui qui met sa fin dans les plaisirs corporels, les estime comme ce qu’il y a de meilleur et y cherche la béatitude.
Or, ceux qui sont déjà dans la vie bienheureuse considèrent l’objet dans lequel se trouve la vraie béatitude comme constituant vraiment le bonheur et la fin dernière ; autrement, leur désir ne se reposerait pas dans cet objet, et par conséquent ils ne seraient pas heureux. Il est donc impossible à tous ceux qui sont déjà bienheureux de détourner leur volonté de l’objet dans lequel se trouve la vraie béatitude. Donc ils ne peuvent avoir une volonté perverse. »
(Sum. contra Gentiles, lib. IV, c. 92.)
« La droiture de la volonté accompagne nécessairement la béatitude ; celle-ci en effet consiste dans la vision de l’essence divine qui est l’essence même du bien. Et, ainsi, la volonté du bienheureux qui voit Dieu dans son essence aime nécessairement tout ce qu’elle aime par référence à Dieu, selon l’ordre voulu par Dieu ; de la même manière que la volonté de celui qui ne voit pas l’essence divine aime nécessairement tout ce qu’elle aime par référence au bien en général qui préside à ses choix. Or, cette référence à Dieu est justement ce qui rend une volonté droite. Il est donc évident que la béatitude ne peut exister sans la droiture de la volonté. »
(Sum. theol., I-II, q. 4, a. 4.)